jeudi 2 mai 2013

Economie




L'histoire de notre époque

CHRONIQUES | Mis à jour le mardi 30 avril 2013 à 6h34
  • Ceux d’entre nous qui avons passé des années à combattre une austérité fiscale prématurée, venons de passer deux belles semaines. Les études universitaires censées justifier l’austérité ont perdu leur crédibilité ; les membres acharnés de la Commission européenne et ailleurs ont adouci leurs arguments. Le ton de la conversation a réellement changé.
    Par contre, j’ai le sentiment que beaucoup de gens ne comprennent toujours pas ce dont il s’agit. Il semble donc que cela soit le bon moment pour offrir une sorte de remise en mémoire à propos de la nature de nos problèmes économiques et pourquoi c’est toujours un mauvais moment pour opérer des coupes dans les dépenses.
    Commençons avec ce qui pourrait bien être le point le plus crucial à comprendre : l’économie ne fonctionne pas comme celle d’une famille.
    Les familles gagnent ce qu’elles peuvent, et dépensent autant que ce qui leur semble prudent ; les opportunités de dépenser et de gagner de l’argent sont deux choses bien distinctes. Dans l’économie au sens large, par contre, les revenus et les dépenses sont interdépendants. Ce que je dépense représente votre revenu et vos dépenses représentent mes revenus. Si nous sabrons tous deux dans les dépenses au même moment, nos deux revenus vont en pâtir également.
    Et c’est ce qui s’est passé après la crise financière de 2008. Beaucoup de gens ont tout à coup mis le frein sur leurs dépenses, soit par choix soit parce que leurs créditeurs les ont forcés à le faire ; pendant ce temps, peu de gens étaient prêts ou capables de dépenser davantage. Il en résulta une chute vertigineuse dans les revenus qui causèrent également une chute vertigineuse dans le domaine de l’emploi, créant alors la dépression qui persiste encore aujourd’hui.
    Pourquoi les dépenses ont-elles plongé ? En grande partie parce que la bulle immobilière a éclaté et que la dette du secteur privé est restée suspendue au- dessus de nos têtes – mais si l’on me demande mon avis, les gens parlent trop de ce que qui s’est mal passé pendant les années de plein essor et pas suffisamment de ce que l’on devrait faire aujourd’hui. Car peu importe que les excès du passé aient été terribles, il n’y a aucune bonne raison pour laquelle nous devrions payer pour ces excès avec des années et des années de chômage de masse.
    Que pourrions-nous donc faire pour réduire le chômage ? La réponse, c’est que nous connaissons une époque où l’état devrait dépenser plus qu’à l’habitude, pour soutenir l’économie jusqu’à ce que le secteur privé soit prêt à dépenser de nouveau. Le point crucial c’est que dans les conditions actuelles, l’état n’est pas, répétez, n’est pas, en compétition avec le secteur privé. Les dépenses de l’état ne détournent pas des ressources destinées à l’usage privé ; elles mettent les ressources inutilisées au travail. Les emprunts de l’état n’évincent pas  l‘investissement privé ; ils mobilisent les fonds qui seraient inutilisés autrement.
    Ceci dit, pour que les choses soient claires, ceci n’est pas une plaidoirie pour davantage de dépenses de l’état et des déficits budgétaires plus importants en toutes circonstances – et l’affirmation que les gens comme moi veulent toujours plus de déficits est tout simplement fausse.
    Car l’économie n’est pas toujours comme ça – en fait, les situations comme celle que nous connaissons aujourd’hui sont assez rares. En fait, essayons de réduire les déficits et d’abaisser l’endettement de l’état une fois que les conditions reviendront à la normale et que l’économie ne sera plus déprimée. Mais aujourd’hui nous sommes toujours dans les affres des lendemains d’une crise financière qui se produit une fois toutes les trois générations. Ce n’est pas le moment pour l’austérité.
    Bien, je viens de vous raconter une histoire, mais pourquoi devriez-vous y croire ? Après tout, il existe des gens qui insistent sur le fait que le véritable problème se situe du côté de l’offre de l’économie : que les travailleurs n’ont pas les compétences dont on a besoin, ou que les allocations chômage ont détruit le désir de travailler, ou que la menace qui plane à propos de l’assurance santé universelle empêche les embauches, ou autre chose encore. Comment pouvons-nous savoir qu’ils ont tort ?
    Il est vrai que je pourrais parler des heures sur ce sujet, mais regardez simplement les prévisions que les deux camps de ce débat ont faites. Les gens comme moi ont prédit dès le début que d’importants déficits budgétaires n’auraient que peu d’influence sur les taux d’intérêts, qu’une impression d’argent à grande échelle de la part de la Fed (ce n’est pas une description vraiment pertinente de la politique de la Fed mais peu importe) ne serait pas inflationniste, que les mesures d’austérité conduiraient à de terribles revers économiques. Les railleries de l’autre camp ont fusé, insistant sur le fait que les taux d’intérêts atteindraient des sommets et que l’austérité mènerait en fait à une expansion économique. Demandez aux négociateurs d’obligation, ou aux Espagnols, aux Portugais en souffrance et d’autres encore comment tout ceci a tourné.
    L’histoire est-elle si simple, et serait-il si facile de mettre un terme au fléau du chômage ? Oui – mais les gens puissants refusent d’y croire. Certains d’entre eux sont viscéralement convaincus que la souffrance est une bonne chose, que nous devons payer le prix de nos pêchés passés (même si ceux qui ont pêché à l’époque et ceux qui souffrent aujourd’hui sont deux groupes de gens bien distincts). Certains voient la crise comme une opportunité de démanteler le filet de sécurité sociale. Et pour ainsi dire tout le monde dans cette élite politique obéit à une minorité très aisée qui ne souffre vraiment pas beaucoup.
    Cependant, ce qui s’est passé c’est que l’impulsion pour l’austérité a perdu son vernis de respectabilité, et se retrouve mise à nu, comme l’expression de préjugés d’opportunisme et d’intérêts de classe, ce qu’elle a toujours été. Et peut-être, je dis bien peut-être, cette mise à nu soudaine nous donnera une chance de faire quelque chose à propos de la dépression que nous vivons.

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