mardi 4 juin 2013

L'AFRIQUE

Désormais, mon éditorial sera remplacé par une chronique, Le monde vu de Poto-Poto. Un éditorial indique la note majeure de la livraison, rappelle la ligne politique. L’éditorial est un corset. La chronique est une chemise flottante. Son auteur choisit ses thèmes librement dans l’actualité, sans prétendre à l’exhaustivité, et sans souci de rigueur. L’humour, l’irrespect, le trait d’esprit sont aussi féconds à la réflexion que le discours engoncé. Nous le savions : « la vraie littérature se moque de la littérature ». Bien utilisée, la chronique est la parole du fou du roi, du monstre sacré. Elle exprime un point de vue personnel. Celui du Persan, de l’Iroquois, en l’occurrence celui du Bantou. Pourquoi de Poto-Poto ? Parce que la revue est d’origine congolaise. Et, au Congo, Poto-Poto est le quartier le plus cosmopolite. C’est, affirme un personnage de mon dernier roman, « plus qu’un territoire, c’est une culture ». C’est là-bas que bat le cœur du pays, de son peuple.
Fin novembre 2012. Invité à Brême en ma qualité d’écrivain. Brême, ville des brumes, si je ne craignais un jeu de mots trop facile. « Quand il n’y pleut pas, me confie mon guide, c’est qu’il vient de pleuvoir ou qu’il va pleuvoir ». Allumant la télévision dans ma chambre d’hôtel, j’éprouve la difficulté de vivre la francophonie. Sur une multitude de chaînes, une seule dans la langue de Molière. Celle que les Bantous de Poto-Poto ont adoptée, sans complexe, comme la leur. Heureusement, mon smartphone me tient en laisse. Le signal des messages me réveille en pleine nuit. Il m’annonce des élections contestées. Je relis la dépêche, ajuste mes lunettes, la relis plusieurs fois. Non, la nouvelle ne provient pas d’Afrique tropicale, mais de France. Copé et Fillon se déchirent à propos des primaires de l’UMP. Les mots d’oiseau, les accusations, les mises en cause, volent d’un camp à l’autre. On connaît la suite. Un scénario dont on pensait que l’Afrique, notre chère, notre pauvre, Afrique, avait le monopole. Ne rions pas du malheur des autres. L’événement montre que les Africains ne sont pas moins capables de démocratie que les autres, ne sont pas pires que nos Oncles, mais qu’ils sont tout simplement aussi humains que le reste de la planète.
14 décembre. À Newton, aux États-Unis, un homme surgit dans une école primaire et vide le chargeur de son arme de combat sur une population d’enfants. Vingt-sept morts, dont vingt enfants. Vingt gosses qui n’ont rien compris de ce qu’il leur tombait sur la tête. Un cauchemar dont ils ne se sont jamais réveillés. Un cauchemar qui va hanter leurs parents, leurs camarades, avec lequel ils vont essayer de survivre. Accident ? Ce n’est pas le premier là-bas. Ce ne sera pas le dernier. On en connaît la cause : la liberté pour n’importe qui de se pourvoir, au gré de sa fantaisie, d’armes de tout calibre et de toute catégorie. On achète un revolver, un pistolet mitrailleur, une mitraillette, avec la même facilité qu’on achète un hamburger ou une caisse de Coca-Cola. L’émotion nationale, internationale, trouble un instant les esprits. Juste le temps de l’actualité. Puis on tourne la page, on zappe, on « pitonne », pour parler comme nos frères Québécois. L’opinion internationale, la communauté internationale, la bonne conscience, si promptes à s’indigner, à se mobiliser, à condamner parce qu’ici la peine de mort n’est pas encore abolie, parce que là-bas un président sollicite un troisième mandat (ce que la Constitution française permettait jusqu’à il y a encore peu sans que les habitants de ce pays n’aient pour autant vécu sous une dictature), rentre dans le rang et continue de proclamer qu’il faut respecter l’identité américaine. N’est-ce pas le pays où la démocratie est la plus achevée ? Le pays auquel nous n’avons rien à apprendre.
4 mars 2013. Élections présidentielles au Kenya. Plusieurs candidats, dont trois poids lourds. Raila Odinga, Premier ministre sortant, Musalia Mudavadi, Vice-Premier ministre sortant et Uhuru Kenyatta. Uhuru Kenyatta est une personnalité originale. Son prénom, Uhuru, signifie Indépendance en swahili, l’une des langues du pays. Il lui a été donné par son père Jomo Kenyatta, père de l’Indépendance du pays. Donc, Uhuru Kenyatta est le frère de l’Indépendance du Kenya. Pedigree impressionnant qui a sans doute joué en faveur du candidat puisqu’il a obtenu 50, 07 % des voix, soit la majorité absolue au terme de laquelle il est déclaré élu dès le premier tour. Or, M. Uhuru Kenyatta est poursuivi par la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité. Elle le soupçonne d’avoir joué un rôle dans l’organisation des massacres qui ont entaché les résultats de l’élection présidentielle de 2007. Que va faire la CPI devant cet imbroglio ? Sa souveraineté l’emporterait-t-elle sur celle du peuple kenyan ? Au nom de quoi ?
Janvier-février-mars 2013. Depuis des mois, différentes nébuleuses terroristes occupaient le Nord-Mali, narguaient les Maliens et la communauté internationale sans que personne n’intervînt. Terrorisée par un capitaine qui, au lieu de se porter à la tête de ses troupes et faire son métier de militaire et son devoir de citoyen, se complaisait dans d’obscurs tripatouillages politiciens, la population assistait impuissante à la destruction de son patrimoine culturel, et au martyr de ses frères du Nord, victimes de la charia. On leur coupait les bras et les jambes, on forçait les femmes à se voiler, on lapidait, on exécutait pour des motifs ressortissants à des morales médiévales. On replongeait un peuple dans l’obscurantisme. Les pays de la région, l’Afrique tout entière, se scandalisaient et condamnaient, mais laissaient faire. C’est d’Europe que le salut est venu. Le 11 janvier, le Président Hollande annonçait que son pays intervenait au Mali afin de donner un coup d’arrêt à la déferlante terroriste. Qui aurait pu, et au nom de quel principe, reprocher cette action ? Nous avons applaudi, en même temps que nous avions envie de disparaître sous terre.
Ce moment de vérité, appelle à l’humilité et à nous élever au-dessus des lectures idéologiques sommaires.
Les Africains pour des raisons évidentes. Mais la France aussi. Car quoi qu’on dise n’est-ce pas là un peu de « Françafrique » sans le dire. Car pourquoi est-ce la France qui joue les justiciers et pas la Grande- Bretagne, les États-Unis, la Suisse, la Chine ou l’Indonésie ?
De même, quelques semaines plus tard, les troupes françaises prenaient position en République centrafricaine. Pour protéger les ressortissants français, nous explique-t-on. Certes ! Mais le drapeau bleu-blanc-rouge se mue-t-il en étendard de la justice partout et chaque fois que des Français sont menacés dans leur vie et leurs biens ?
Bien sûr que non.
C’est peut-être que, au-delà des intérêts bassement matériels, au- delà de la douleur de la colonisation, l’Histoire a tissé des liens entre les peuples, sur lesquels on devrait méditer et qu’on devrait prendre en compte avant de définir certaines politiques. Ainsi, lorsqu’on traite de solidarité internationale, on ne nous fera pas accroire que certains pays d’Afrique sont aussi étrangers aux Français que la Bolivie ou le Kirghizstan, et vice-versa, et qu’il conviendrait, par exemple, de réfléchir sur la politique de visas entre ces pays et la France.
Mais il ne s’agit là que d’obscures élucubrations d’un Bantou qui n’est jamais sorti de sa case de Poto-Poto…

Henri Lopes

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